Isidore Isou, "Oeuvre infinitésimale ou esthapéïriste", 1956-1987
Châssis entoilé vierge. Collection privée.
Pour commenter cette oeuvre emblématique d'Isidore Isou, il est bon de rappeler ce qu'est l'Art infinitésimal :
En 1956, dans le numéro 7 de la revue Front de
Jeunesse, Isou publie son manifeste Introduction à l'Esthétique
Imaginaire. L'Esthétique imaginaire, ou l'Art imaginaire, est l'autre nom
de l'Art infinitésimal, dénommé aussi « esthapéïrisme » (de Esthétique
et du grec Apéiros, innombrable).
Le nom d'infinitésimal vient du fait qu'Isou
s'inspire initialement des mathématiques, plus particulièrement du calcul
infinitésimal de Liebniz et Newton. Au sein de cette discipline scientifique,
on intègre, au-delà des nombres concrets, les quantités intangibles, impondérables,
n'existant que grâce à la réflexion théorique. Par analogie, en l'appliquant à
l'art, Isou cherche à dépasser la lettre et le signe, formes concrètes.
L'Art infinitésimal repose donc sur des données
esthétiques virtuelles, intangibles, purement conceptuelles. Il est demandé aux
spectateurs, pour percevoir ces données, d'effectuer des élaborations mentales.
Pour mener à bien cette expérience esthétique,
l'artiste met à disposition des éléments concrets, considérés au-delà de leur
signification immédiate, comme autant de stimulus induisant une activité cérébrale
apte à « façonner » des beautés imaginaires, insaisissables. Le
support concret (objet, image, dispositif...) perd donc sa valeur initiale,
directe, et devient transcendant, tel un tremplin pour atteindre une dimension
inconnue, source d'émotions subtiles et indicibles, pour peu qu'on s'en donne
la peine.
Ainsi, avec des moyens parfois restreints, indifférents
en soi, l'artiste esthapéïriste propose au public de créer ses propres formes esthétiques,
perpétuellement changeantes, unique à chacun, sans cesse projetées dans la
dimension imaginaire.
L'oeuvre ci-dessus surprend par sa simplicité
et son dépouillement : il s'agit d'une simple toile sur châssis, vierge à l'exception des mentions du titre, de la date et de la
signature de l'auteur, peints au bas de la toile. Oeuvre infinitésimale ou
esthapéïriste est, en cela, un exemple-type, le manifeste appliqué de l'Art
infinitésimal.
Dans le cadre cette oeuvre, et à l'instar de toute oeuvre infinitésimale, Isou cherche à provoquer une
plus grande implication du spectateur qui doit fournir un effort supplémentaire
de perception en sollicitant directement son intellect et sa sensibilité, dont
la seule « béquille visuelle » est une surface blanche.
Ainsi, grâce à une simple toile blanche, vide de toute intervention concrète, l'esprit humain acquière une dimension démiurgique car de ce Néant, il crée des univers intangibles dont il est le seul maître, qu'il peut façonner et refaçonner à sa guise. Cette force en fait l'un des chefs d'oeuvre de l'Esthétique Imaginaire.
Damien Dion, le 27 février 2009.