Roland Sabatier, "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie", 2007
Récemment, dans le cadre de l'exposition Il
lettrismo a Verona, organisée par le collectionneur Francesco Conz à la
Villa Fraccaroli, Vérone, en décembre 2007, Sabatier propose Le silence éternel
de ces espaces infinis m'effraie, présenté comme un poème.
Défini comme une « oeuvre infinitésimal
orthodromique », le poème se déroule sous forme de performance et fut interprété, lors de l'évènement, par un représentant anonyme de l'artiste qui portait un masque à son effigie.
Voici ce qu'écrit
l'auteur:
« Quelqu’un : l’auteur, par un effet de
masque et en tant qu’il est absent et, en même temps, un autre qui lui donne
corps, effectue, en marchant d’un pas régulier, indifférent à toute agitation
qui se produit autour de lui, un incessant va-et-vient suivant une ligne
correspondant au plus court chemin entre les lieux A et B. Aux points de
retournement, chaque fois lorsqu’il passe, il énonce sans même se soucier de
savoir s’il sera entendu — mais peut-être aussi à l’attention de ceux qui
pourraient l’entendre — l’énigmatique phrase de Pascal : — « Le silence éternel
de ces espaces infinis m’effraie », jetant ainsi le trouble dans le cheminement
orthodromique sur lequel il pose ses pas et sur lequel repose la caractéristique
de l’œuvre infinitésimale qui renvoie à des silences et des espaces
inconcevables, impossibles ou in-imaginaires. »
(Le silence éternel de ces espaces infinis
m'effraie in Oeuvres poétiques et musicales (1963-2007),
publications Psi)
Le titre de l'oeuvre, comme il est dit dans le
texte de l'auteur, est la citation de la célèbre phrase de Blaise Pascal, issue
de ses Pensées. Sabatier renvoie d'ailleurs à la même thématique : la
condition de l'homme, sa solitude, ses questionnements et son impuissance face à
l'incommensurabilité de l'Univers et de ses mystères. Cependant, alors que
Pascal cherche à faire réfléchir sur l'existence de Dieu, l'artiste lui, se
sert de l'angoisse métaphysique pour faire éprouver aux spectateurs des
vertiges esthétiques, l'invitant à imaginer des espaces et des silences
inconcevables. L'interprète-protagoniste devient le vecteur de ces vertiges,
l'incarnation de la condition humaine. Son jeu, qui fait référence aux
comportements répétitifs et mécaniques de personnes souffrant de problèmes
mentaux, évoque l'homme ayant perdu la raison aux frontières du monde visible
et du monde invisible, dans ces espaces infinis situés au-delà de tout
entendement. A l'instar de certains personnages de Lovecraft, le protagoniste
s'est égaré mentalement dans les abîmes insondables de réalités que personne ne
peut, ni n'est prêt, à appréhender, le faisant sombrer dans une angoisse, une
crainte indicible.
Cette oeuvre montre en un sens les limites de
l'Art infinitésimal, mettant en garde le spectateur sur les limites de ses
capacités à créer des élaborations mentales, sur les risques qu'il encourt à se
perdre littéralement dans ses pensées, que ce soit à des fins esthétiques,
philosophiques, ou métaphysiques.
Roland Sabatier évoque ici une conception du
Sublime proche de celle de Burke. Un Sublime terrorisant, incommensurable
suscitant crainte et respect, et pouvant mener l'être humain à sa propre perte.
Cet impact effrayant renforce la singularité de cette oeuvre à la fois subtile et complexe, donnant à l'Art infinitésimal toute la richesse de la réflexion existentielle.
Damien Dion, le 28 mars 2009